05/05/2023
 5 minutes

Placement : comment les imperfections esthétiques boostent la valeur des montres

Par René Herold
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Aussi paradoxal que cela puisse paraître, de petits défauts peuvent faire considérablement grimper la valeur d’une montre. Nous parlons d’imperfections visuelles qui n’entravent pas le bon fonctionnement de la montre, mais qui lui confèrent une certaine exclusivité. Dans cet article, nous nous penchons sur quelques exemples de défauts qui transforment des garde-temps ordinaires en pièces de collection recherchées.

Cadrans tropicaux, lunettes ghost, et autres

Les altérations de couleur du cadran, de la lunette ou du dépôt luminescent sont sans aucun doute les défauts les plus recherchés sur les montres. Les cadrans tropicaux dont la couleur s’altère progressivement au fil des ans sont particulièrement fréquents. On impute généralement cette transformation au vieillissement des produits chimiques employés qui s’oxydent, réagissent à l’humidité ou aux rayons UV. Composition erronée de la laque ou mauvais revêtement : en vérité, on ne sait pas trop à quoi cela est dû, mais à cette patine on a apposé le qualificatif de « tropical ».

Les amateurs chevronnés pensent immédiatement à des cadrans noirs qui ont viré au marron, mais d’autres colorations sont également possibles. Ainsi, certains cadrans blancs ont pu prendre une délicate teinte crème, tandis que des cadrans dorés ou argentés peuvent virer vers de subtiles nuances de gris ou de vert. On a même pu observer des glissements chromatiques vers le rose ou le violet.

Tropical Hattrick: Rolex Submariner 1680 „Red Sub“ mit Tropical Dial, Ghost Bezel und Lume Patina
Montre compte triple : Rolex Submariner 1680 « Red Sub » avec cadran tropical, lunette ghost et matière luminescente patinée

La couleur d’arrivée est le critère clé pour déterminer le succès d’un cadran tropical. La plupart des collectionneurs privilégieront une mue totale : un cadran auparavant noir, et désormais intégralement chocolat. Certaines décolorations qui prennent l’apparence d’un dégradé ou d’un motif particulier sont également assez appréciées. Dans chacun de ces cas, ce qui importe est la régularité, l’uniformité de la transition chromatique. Les cadrans qui donnent l’impression d’être « tachés » ont en revanche peu de succès. Les montres aussi vieillissent plus ou moins bien…

Le changement de couleur du cadran s’accompagne généralement d’une altération de la matière luminescente, particulièrement marquée sur les anciennes montres pour lesquelles on utilisait encore du tritium. Blanche à l’origine, cette matière prend une teinte ivoire avec le temps. Charme vintage garanti ! Idéalement, une telle patine du dépôt luminescent doit se faire de manière homogène sur des index entièrement préservés.

Spider Dial bei einer Audemars Piguet Ref. 4010
Un cadran « spider » sur une Audemars Piguet réf. 4010

Cousins des cadrans tropicaux, citons les cadrans « spider » : leur surface réagit aussi aux influences environnementales, non pas en changeant de couleur, mais en se fissurant. L’effet de structure qui en résulte rappelle alors une délicate toile d’araignée. Plus cette structure est régulière, plus la montre est intéressante pour les potentiels collectionneurs.

Il n’y a pas que le cadran qui peut changer de couleur. Ce phénomène peut également toucher la lunette, dès lors que celle-ci est dotée d’un insert de couleur. Ces lunettes « ghost » sont assez fréquentes sur les anciennes montres de plongée pourvues d’un insert aluminium, qui se décolore avec le temps. On peut citer la Submariner et la GMT-Master de Rolex. Sur la première, la lunette noire a viré au gris-bleu clair. Le bleu-rouge soutenu de la lunette Pepsi de la GMT-Master s’est adouci pour devenir un bleu ciel-vieux rose.

Erreurs d’impression et autres défauts de production

Parallèlement aux montres qui présentent des défauts inhérents à l’action du temps, certaines montres se retrouvent dans la circulation alors qu’elles auraient dû être retoquées au contrôle qualité du fabricant. C’est là que l’analogie avec l’erreur d’impression sur le timbre prend tout son sens. Extrêmement rares, ces montres sont à certains collectionneurs ce qu’est Moby Dick au capitaine Achab.

Curieusement, les exemples de défauts de production ne manquent pas. Ainsi, il existe des exemplaires Daytona de la référence 116520 sur lesquels Rolex a omis d’apposer la fameuse inscription Daytona au-dessus du cadran auxiliaire à 6 heures. Pour les collectionneurs, ce modèle est connu sous le nom de « No Daytona » et constitue l’une des variantes les plus recherchées du chronographe de Rolex.

Der Weiße Wal vieler Sammler: Rolex Daytona 116520 „No Daytona“
Le Saint-Graal de nombreux collectionneurs : Rolex Daytona 116520 « No Daytona »

Il existe également quelques exemplaires de la Rolex Milgauss 6541 qui ne portent pas non plus le nom de la marque. Il semble toutefois qu’il s’agisse d’un choix délibéré de Rolex. Des notes dans les archives de la manufacture genevoise attestent que ces montres ont été spécialement fabriquées en 1958 pour le marché britannique afin de relancer les ventes qui étaient au ralenti.

Dans les années 1950 et 1960, Omega a réutilisé certains composants issus d’une collection dans d’autres. On sait par exemple qu’à la fin des années 1960, le fabricant de Bienne a équipé un lot de la Seamaster 300 référence 165.024 du fond du boîtier de la Speedmaster. Le numéro de référence Seamaster correctement gravé à l’intérieur du couvercle prouve que cette « erreur » était tout à fait intentionnelle.

Plus récemment chez Tudor, quelques exemplaires de Black Bay Bronze présentant des défauts d’impression sur le cadran ont passé le contrôle qualité en 2017. Sur ces montres, le deuxième « i » de « Officially » manque dans la mention « Officially Certified ». En y regardant de plus près, on voit que la peinture n’a pas été appliquée correctement sur le cadran à cet endroit et ces montres sont désormais « Offic ally Certified ».

Quelle est la valeur des Rolex Daytona « No Daytona » et autres montres « défectueuses » ?

Les montres présentant les défauts décrits ci-dessus ont un point commun : elles sont extrêmement rares et, dans le cas des cadrans tropicaux et spider, ce sont des pièces uniques chargées d’histoires. C’est cette exclusivité qui suscite la convoitise de nombreux collectionneurs et amateurs. Conformément aux lois du marché, la disponibilité limitée et la forte demande se traduisent par des prix élevés.

Une Rolex Daytona 116520 « No Daytona », par exemple, franchit facilement la barre des 100 000 €, alors que la version ordinaire est disponible à des prix d’environ 35 000 €. La Rolex Submariner référence 1680 « Red Sub », déjà très appréciée des fans de Rolex du fait de sa signature Submariner rouge, peut être achetée à l’état neuf pour environ 26 000 euros. Pour le même modèle avec cadran tropical et lunette ghost, le prix atteint au moins le double. Il en va de même pour les montres « défectueuses » d’Omega, de Patek Philippe ou d’Audemars Piguet. Même chez les petites marques comme Tissot, Eterna ou Certina, les prix des exemplaires avec cadran tropical sont généralement nettement supérieurs à ceux du modèle sans défaut.

Soyez toutefois prudent lorsque vous achetez une telle montre. Assurez-vous toujours que vous n’achetez que des montres munies des papiers nécessaires. Vous serez ainsi relativement sûr qu’il s’agit d’une montre authentique. Il serait regrettable – utilisons un euphémisme – de dépenser une grosse somme pour une vulgaire Frankenwatch, une de ces montres ré-assemblées à partir de composants épars pour recréer l’impression d’une montre vintage authentique. Il arrive également que des cadrans artificiellement vieillis ou entièrement contrefaits soient montés afin de flouer les acheteurs potentiels. Examinez donc attentivement la montre et, en cas de doute, passez votre chemin.

Pour conclure…

Faire un placement dans une montre imparfaite : une bonne idée ? Les défauts esthétiques sont susceptibles de déchaîner les fantasmes, faisant d’une montre vintage une pièce de collection très prisée. Ces montres sont rares et, dans de nombreux cas, de des pièces véritablement uniques. Cette exclusivité a toutefois un prix : selon la marque et le degré d’imperfection, ces montres coûtent toujours plus cher que leurs homologues « parfaites ». Pour les exemplaires particulièrement rares, le prix peut même rapidement atteindre des sphères astronomiques. À vous de décider si, au bout du compte, vous êtes prêt à dépenser autant pour un garde-temps.


À propos de l'auteur

René Herold

Je m'appelle René Herold et j'ai découvert Chrono24 en répondant à une offre d'emploi. En réalité, avant de travailler chez Chrono24, les montres ne faisaient pas …

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